Fondateur de l’École nationale d’Administration (ENA) au lendemain de la Deuxième Guerre, Premier Ministre de France, Michel Debré martèle : « Tout ce qui touche à l’Assemblée nationale est d’essence constitutionnelle ».
Ainsi, toute anatomie des tensions actuelles entre les députés du Sénégal et les magistrats sages et chevronnés du Conseil Constitutionnel, et toute réflexion autour de leurs prolongements perturbateurs dans le calendrier électoral, doivent se faire à l’aune de la leçon de ce dinosaure politique, père des énarques de France et, par ricochet, de leurs émules du Sénégal.
Le hic de taille est que la double image des députés-godillots et des parlements-croupions demeure si présente dans les esprits que les citoyens croient dur comme fer, à tort ou à raison, que les élus du peuple forment l’éternelle valetaille du Gouvernement.
De ce fait, l’empoignade en cours entre une fraction importante de députés et un étage supérieur de l’appareil judiciaire, le report acté du scrutin de février et les fureurs civiquement et légitimement déchainées commandent de placer le curseur du décryptage au cœur de la finesse qui catalyse habituellement la clarté et la vérité.
Voyons le catalogue des faits puis le chapitre des appréciations !
Au tableau des faits, c’est indiscutablement l’Assemblée nationale, bien assise sur ses robustes et constitutionnelles racines (allusion aux propos de Michel Debré), qui a lancé les accusations contre le Conseil Constitutionnel puis enclenché la procédure dont le point culminant demeure la résolution accoucheuse d’une Commission d’enquête.
Cette dernière a aussitôt balisé la voie au retentissant report du scrutin présidentiel. Jusque-là, l’Exécutif et son chef (le Président Macky Sall) sont peut-être habilement embusqués mais totalement absents sur le terrain des initiatives.
Dans le volet des lectures, figurent les savantes controverses juridiques et les inévitables polémiques politiques.
Les débats juridiques sont évidemment ardus ; parce techniques, scientifiques voire ésotériques. On y recense des arguments de qualité en faveur du report ; et des thèses remarquables en défaveur du report. Ce qui conduit vers les vaseux mais fertiles marécages du Droit.
Quant aux rageuses batailles politiques sans fin, elles indexent des combines, convoquent des soupçons, alignent des jugements et instruisent des procès. Y compris des procès en sorcellerie contre le Président Macky Sall. Normal. Point de cadeaux en politique !
Il va sans dire que l’entaille dans le processus électoral – et non l’enterrement du scrutin, n’est pas arrivée comme un éclair dans un ciel serein.
Le spectre électoralement effrayant du PASTEF (dissous mais toujours dodu) du leader Ousmane Sonko, les couacs dans le parrainage et la bouillabaisse de la cuisine interne à l’APR ont poussé le Président Macky Sall à ébaucher des plans anti-naufrage pour la coalition Benno Bokk Yakaar.
Toutefois, quels que soient le poids des arrière-pensées et le volume des calculs valablement imputables à la mouvance présidentielle, c’est le PDS qui a agi et assumé au grand jour, en tant que locomotive de l’alliance parlementaire désireuse du report de l’élection du 25 février 2024.
Le cocktail des accusations de corruption, de la résolution de l’Assemblée nationale, de l’amendement des députés et, in fine, du report du scrutin est là. Telle une peinture qui pâlît l’éclatante démocratie du Sénégal.
Une situation regrettable lorsque l’on sait les projections perpétuellement heureuses et roses faites sur la vie politique sénégalaise depuis l’extérieur.
En attendant la fermeture en douceur et en consensus de cette inattendue parenthèse, la nation a besoin d’une réelle dose d’aggiornamento (mot italien plus fort que le sursaut).
Car le Sénégal est sur le bord de la falaise. Face aux abysses. Il s’ajoute que les pannes politico-institutionnelles sont débloquées ou surmontées par les deux B : le bulletin de vote ou la baïonnette du fusil.
Par Babacar Justin Ndiaye