Jugé « historique » par les uns et critiqué par les autres, qu’implique l’accord final de la COP 28 pour le continent africain qui - engagé dans la transition énergétique tout en ne pesant que 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre - est en quête de développement industriel et social ?
« L'originalité de cet accord, réside dans le fait que pour la première fois, la communauté internationale avoue implicitement, mais publiquement que les changements climatiques actuels sont le fait des activités anthropiques et principalement l'utilisation des énergies fossiles », apprécie le professeur Suspense Averti Ifo, chercheur en écologie tropicale à l'Université Marien Ngouabi au Congo.
« Au moment de la mise en œuvre de cet agenda cependant, il ne faudrait pas qu'on sanctionne les pays africains qui, avec seulement 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ne sont pas responsables de l'état de la planète », avertit-il.
Les 195 pays de la planète réunis à Dubaï dans le cadre de la COP 28 ont consentis, le 13 décembre, à un accord les appelant à « transitionner hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d'une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l'action au cours de cette décennie ».
Le sultan Ahmed Al-Jaber, président de la COP 28, a salué un accord « historique ». « Nous avons été confronté à des réalités et avons mis le monde dans la bonne direction », a-t-il déclaré, soulignant que c'est « la toute première fois » qu'un accord final de COP fait mention des « énergies fossiles » en précisant le pétrole, le gaz et le charbon.
Quatre décennies après les premières alertes
Les combustibles fossiles sont responsables à 80% des réchauffements climatiques, selon les Nations Unies. Depuis de nombreuses années, les montées au créneau des écologistes à travers le monde sont plus en plus fortes. Cela a poussé une vingtaine de pays et organisations occidentales à Glasgow en 2021 à décider un retrait progressif du financement des énergies fossiles en Afrique et des grands groupes pétroliers à repositionner - parfois sur le papier - leurs activités. Mais les experts rappellent que la sonnette d'alarme retentit depuis plus de quarante ans.
« Les premiers rapports du GIEC alertant sur le danger des énergies fossiles pour la planète ont commencé à sortir à partir des années 1988 - 1990. Mais depuis la fin des années 1970, des scientifiques attiraient déjà l'attention de la communauté internationale sur le fait que nous étions en train d'assister à un changement climatique non naturel, mais dû aux conséquences des activités anthropiques », explique le professeur Ifo, soulignant le temps qu'il aura fallu pour qu'une COP fasse mention des combustibles fossiles, alors que même l'Accord de Paris était silencieux à ce sujet.
Accord « négatif » pour le climat, mais « positif » pour les pétroliers ?
Si l'accord adopté à la COP 28 est ovationné par certains Etats ou grandes entreprises du secteur des hydrocarbures comme TotalEnergies, il est tout autant critiqué par ceux qui attendent un arrêt total de l'exploitation des énergies fossiles. « Que cela vous plaise ou non, l'élimination progressive des combustibles fossiles est inévitable. Espérons que cela n'arrive pas trop tard », a déclaré le Secrétaire général des Nations Unies sur la messagerie X (ex-Twitter), après l'annonce de l'accord final.
Le professeur Mohammed Said Karrouk, climatologue marocain et enseignant à l'Université Hassan II de Casablanca résume l'accord à ceci : « calmez-vous, tout le monde trouvera ce qu'il lui faut ». Il estime que l'accord voulu « juste, ordonné et équitable » peut être une bonne nouvelle pour les pays producteurs pétroliers - africains y compris -, mais le climatologue pose la question quant aux nouvelles dont ce texte est porteur pour l'environnement et l'avenir de la planète.
« En réalité, l'accord veut dire qu'on va continuer d'exploiter le pétrole jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de pétrole. Pour compenser, on a va faire des efforts technologiques autour des énergies alternatives parmi lesquelles le nucléaire qui revient sur la table des négociations », décrypte-t-il, déplorant la difficulté d'obtenir un accord « satisfaisant » lors des COPs où, dit-il, « il n'est finalement question que de business autour du climat, alors que nous assistons à une augmentation des gaz à effet de serre et des températures ».
Face aux critiques, l'envoyé spécial du président des Etats-Unis pour le climat, John Kerry, a appelé le monde à « être optimiste » au sujet d'un accord qui est « un compromis entre de nombreuses parties ».
Mardi, alors que le texte provisoire faisait grincer des dents des pro-abandon des énergies fossiles, la ministre congolaise de l'Environnement, du développement durable et du Bassin du Congo, Arlette Soudan-Nonault, alertait quant à l'importance de tenir compte des pays en développement dont les ressources relèvent littéralement d'une question de survie économique et sociale.
Et c'est surtout à ce niveau que la question se pose désormais, l'Afrique ne représentant que 4% des émissions mondiales de CO2 cherche la route vers son développement économique et social à travers l'industrialisation et l'électrification des 600 millions de personnes qui en sont encore privés d'accès.
Demande énergétique vs croissance démographique
Défenseur de la liberté de l'Afrique à s'engager dans la transition énergétique tout en exploitant ses combustibles fossiles, le secrétaire général de l'Organisation des producteurs de pétrole africains (APPO), Omar Farrouk Ibrahim, était à Dubaï. Il n'attribue pas forcément un qualificatif à l'accord, mais est loin de le fustiger.
« La COP28, comme toutes les COP précédentes, a ciblé l'élimination du pétrole et du gaz même lorsque les alternatives attendues n'ont pas prouvé sans aucun doute, qu'elles pouvaient répondre à la demande mondiale croissante en énergie résultant de la croissance démographique mondiale, en particulier dans les pays en développement et l'urbanisation », analyse-t-il, soulignant la conférence de Dubaï a été « la COP la plus inclusive jusqu'à présent ».
Pour rappel, l'APPO, en partenariat avec Afreximbank prépare la création d'une banque africaine de l'énergie afin de permettre au continent de relever ce défi énergétique pour son développement.
La « justice », élément clé dans la mise en œuvre de l'accord
C'est en cela, estime le professeur Ifo, que la notion de justice prend tout son sens. « Les pays les plus grands pollueurs - à l'instar des pays du Golfe, les Etats-Unis, la Russie, le Venezuela... - doivent avoir l'honnêteté de reconnaitre qu'ils le sont, qu'ils ont beaucoup d'argent et qu'ils ont suffisamment de fonds pour financer les technologies et politiques qui vont permettre aux pays en développement de migrer vers l'énergie propre.
Pendant ce temps, au nom de la solidarité mondiale, il faut permettre aux pays d'Afrique dont l'économie est basée sur les énergies fossiles d'avoir le temps de s'arrimer à la nouvelle vision du non-fossile », explique l'expert. A travers le continent, les économistes sont désormais appelés à penser le développement en termes de durabilité.
La Conférence économique africaine qui s'est récemment tenue en Ethiopie avait pour but de marteler davantage sur ce point. D'ailleurs, dans un entretien avec La Tribune Afrique, le Commissaire au commerce et à l'industrie au sein de la Commission de l'Union africaine, Albert Muchanga, affirmait encore l'engagement de l'institution panafricaine à « promouvoir la transition verte ».
« Mais cela ne signifie pas que nous négligeons le fait que le pollueur paie. Ces pays qui sont responsables de la situation actuelle de la planète, alors que nous nous dirigeons vers la transition verte, ont l'obligation de libérer les ressources financières nécessaires pour aller vers la transition verte », a déclaré le diplomate zambien.
Le financement de l'action climatique constitue le principal plaidoyer porté par le continent africain à la COP 28. Du président en exercice de l'Union Africaine, Azali Assoumani, au président de la Banque africaine de développement (BAD), Akinwumi Adesina, les leaders africains ont appelé à nouveau les pays industrialisés à respecter leurs engagements. Parallèlement, les experts comme le professeur Ifo estiment que l'objectif zéro carbone étant fixé à 2050, la mise en œuvre de l'accord de Dubaï devrait offrir aux pays du continent « une douce transition vers le non-fossile ».