Incarcération d'Ousmane Sonko, dissolution du Pastef, vague d’arrestations, Juan Branco inculpé puis expulsé… La machine judiciaire s’est emballée, ces derniers jours. Mais dans sa folle frénésie, elle s’est embourbée en violant «allégrement» ses propres règles, en cherchant à donner une base juridique à des manœuvres purement politiques, estime Ibrahima Kane.
Invité de l’émission «Objection» de ce dimanche sur Sud FM, ce membre fondateur de la Rencontre africaine pour la défense des Droits de l'homme (RADDHO) s’émeut de la déliquescence de l’État de droit et de la démocratie au Sénégal. Selon lui, à force de creuser le fond, on a fini par toucher l’abysse.
Ces derniers évènements qui se sont déroulés avec la justice comme maître d’œuvre ont donné, d’après Kane, «une très mauvaise image du Sénégal en tant que pays qui était cité comme étant l’un des grands guides en matière de liberté et de démocratie en Afrique et dans le monde».
«Quand l’État, qui doit être le métronome des affaires de la cité, en se fondant sur le droit qu’il a lui-même produit, cet État met ce droit en marge de la société et se conduit comme dans un système où il n’y a aucune règle, ça, c’est terrible pour un pays comme le nôtre», constate-t-il pour le dénoncer.Même s’il concède que le ver est dans le fruit et cela depuis l’indépendance, car les régimes qui se sont succédé n’ont pas voulu réformer le système colonial qu’on a hérité, Kane est peiné de voir des ministres -juriste qui plus est -, violer sans gêne les règles du droit.
«On est face à un système où l'on n’a plus de scrupule à agir comme on veut, quand on veut, où l’on veut et avec n’importe quel moyen. Le dernier exemple, c’est le drame sur la plage de Rufisque. On a tué un candidat à l’immigration et jusqu’à présent, rien ne s’ensuit. On a un procureur de la République et un système judiciaire. Où sont-ils ? Alors qu’il suffit que Sonko montre le bout du nez pour que toute la machine soit mise à contribution», s’offusque le défenseur des droits humains.Le pire, poursuit-il, ce sont les incohérences dans la démarche de la justice. Il en veut pour preuve l’affaire Juan Branco qui a été inculpé et relâché, alors que Ousmane Sonko, qui a été arrêté pour les mêmes chefs d’accusation, croupit en prison.
«On est amené à se poser la question : dans quel État sommes-nous ? Ce qui est dramatique, c’est que les deux responsables des ministères de la Justice et de l’Intérieur sont deux juristes. L’un est un magistrat, l’autre est un éminent juriste, professeur d’université. Si ce sont eux qui piétinent la règle de droit, on ne sait plus à quel saint se vouer», se désole Ibrahima Kane.