Moments anxiogènes. La tension qui règne ici depuis 2021, continue de dicter son tempo. Elle va crescendo. Les arrestations multiples ont fini de creuser le fossé qui existait déjà entre un pouvoir qui se braque de jour en jour et une bonne partie de la population qui se sent persécutée. Plus de mille arrestations ! Même aux moments chaotiques traversés par le Sénégal, on n'avait jamais connu çà.
Des arrestations qui sont souvent faites avec beaucoup de légèretés pour un « oui » ou un « non ». Pour des appels vraiment imaginaires à l’insurrection, pour des menaces, pour des « atteintes à la sûreté de l’État », pour des « diffusions de fausses nouvelles », pour « outrages à magistrats », pour « offense au chef de l’État ».
Autant de charges dignes des républiques bananières sur la tête de pauvres citoyens, de fonctionnaires, d’enfants qui n’ont rien à faire dans des prisons surpeuplées.
Des centaines de personnes embastillées pour des délits d’opinion. Et le drame, est que la bêtise insiste toujours. Ceux qui gouvernent pensent manifestement que la « prisonnalisation » est la solution face aux contestations. Ils se trompent lourdement.
La Justice, dans une démocratie, est là pour équilibrer la société. Elle doit être impartiale. Hélas, la justice sénégalaise donne cette fâcheuse impression d’être avec un camp ou contre un autre. Une perception tenace qui se vérifie et qui ne fait qu’attiser la colère et les frustrations.
Le Sénégal vit mal. Ses bras valides se noient dans les océans. Le décompte macabre fait froid dans le dos, comme c’est le cas récemment avec Fass Boye, une localité affligée, endeuillée, atteinte après la disparition d’une bonne partie de ses fils au large du Cap-Vert.
Le malheur est quotidien. La liste des morts sur le chemin de l’émigration…clandestine s’allonge. Ce qui est curieux et dangereux est que la mort se banalise. La survie de notre modèle est en jeu.
Le pronostic vital de notre démocratie est engagé. Dans un pays où le chef de l’opposition, jeté en prison pour entre autres « appel à l’insurrection », est plus proche de la mort que de la vie, il y a mille raisons de s’alarmer. Ousmane Sonko en réanimation, ça ne peut être qu’une grave nouvelle.
Ça fait désordre dans le monde des humains. Car, au-delà de la démocratie sénégalaise qui s’enfonce, il est plus question ici de la vie d’un homme qui souffre atrocement.
L’expression « pronostic vital engagé » est surtout employée dans les médias, nous indique-t-on. Cela notamment au sujet de la victime d’un accident ou d’une attaque. Ici, il s’agit d’une grève de la faim du leader de Pastef en prison depuis bientôt un mois.
Une stratégie de lutte radicale qui a été adoptée par d’autres hommes politiques avant lui. Est-elle efficace ou suicidaire ? Est-elle opportune ? Ce qui est au moins clair, c’est qu’elle montre un certain désespoir.
Et ce stade de dangerosité n’a jamais été atteint au Sénégal. Ousmane Sonko suit sa logique de guerre qui consiste à ne pas faire les choses à moitié. Il va toujours au bout au point de toucher le précipice.
Une telle radicalité peut s’expliquer par l’attitude d’un pouvoir qui cherche vaille que vaille à l’éliminer, du moins de la course à la Présidentielle de 2024.
Les différentes tentatives pour le mettre en prison ont été vaines jusqu’au 1er août dernier, date de son emprisonnement et de la dissolution de son parti Ce qui n’est pas synonyme de victoire du camp du pouvoir ou de mort de l’opposition incarnée par cet ex-inspecteur des Impôts et des Domaines dont les soutiens sont encore très nombreux malgré les plus de mille prisonniers dans les rangs.
En réalité, c’est la démocratie sénégalaise qui est en agonie. Mais cela, c’est depuis que le médecin qui devait veiller sur elle, a décidé de « réduire l’opposition à sa plus simple expression ».
Et le vent de fureur ne s’estompe pas
Sabre au clair, Macky Sall règle ses comptes en attendant la désignation de « son » candidat pour 2024. En guise d’illustration, si Bassirou Diomaye Faye n’est pas libre, c’est à cause de cet état d’esprit guerrier. Ce membre influent et secrétaire général du Pastef, a été interpelé, placé en garde à vue le 14 avril dernier pour « diffusion de fausses nouvelles, outrage à magistrat et diffamation envers un corps constitué ».
On lui reproche la publication d’un post sur les réseaux sociaux où il critique le comportement de certains magistrats.
Depuis lors, cet inspecteur des impôts et des Domaines est retenu à la Maison d’arrêt et de correction de Rebeuss. Ses demandes de liberté sont systématiquement rejetées.
Aux yeux de la justice, il ne mérite aucune sympathie, aucune compréhension. Il doit rester en prison, loin de son travail, de sa famille, de sa famille professionnelle.
Comme Cheikh Bara Ndiaye à qui le Procureur refuse un élargissement après avoir bénéficié d’une liberté provisoire. Oustaz Assane Seck un autre prêcheur embastillé fait partie de ce lot. Un homme de sagesse, de sincérité, d’humilité, de pédagogie, de bienveillance et de profondeur.
Son emprisonnement est le symbole du mal qui traverse ce pays. L’histoire des tyrans et apprentis dictateurs n’enseigne pas le fatalisme mais l’optimisme, écrit le Professeur Ibrahima Silla.
« En attendant, ils peuvent continuer, motivés par une férocité indigne et indécente, à cueillir de nobles et fiers patriotes, avant de nous voir un jour venir nous recueillir, sans avoir besoin d’un mandat de perquisition ni des « franchises universitaires », sur ce qu’ils pensaient être immortels et infinis : la dépouille de leur pouvoir, victime de cette prison de la méchanceté qui empoisonne leur cœur incapable d’envisager une amnistie générale sans délai ni condition. On ne retire aucune gloire de la cruauté contre son peuple.
Je suis sûr que vous commencez à vous en rendre compte ; peut-être un peu trop tardivement. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. Il suffit seulement d’en être encore capable », écrit cet enseignant- chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, dans une contribution.