Nul ne peut étouffer l’écho des complaintes d’un peuple meurtri Par Boubacar Sadio

 

Tous les compatriotes épris de liberté, de justice et d’équité s’interrogent sur ce qui se passe dans notre cher Sénégal, ce beau pays, jadis, havre de paix et de convivialité, qui, aujourd’hui, semble aller à la dérive vers des écueils insurmontables. Les plus pessimistes d’entre nous prédisent même l’installation d’une anomie générale au sein de la société ou tous les codes seraient bafoués et les principes foulés au pied; en effet, les repères de tous ordres, institutionnels, sociétaux, moraux et éthiques ont pratiquement, tous, perdu leurs fonctions et leurs rôles de régulation dans le contrôle social au point qu’on en arrive à une question existentielle sur notre sécurité ontologique.

S’il faut être objectif pour reconnaitre de la part de certains de nos concitoyens des comportements de plus en plus déviants, délinquants voire criminels, il y a aussi lieu de constater de la part de nos gouvernants une gestion de plus en plus oppressive et répressive de toutes formes d’expression d’idées et de manifestations politiques. Si la politique est communément et généralement définie comme l’art de gérer la cité, sa pratique par nos actuels dirigeants s’exerce avec une conception jacobine et dans une optique clivante à partir de références biaisées essentiellement adossées sur des considérations partisanes et subjectives.

Pour l’heure, nous vivons dans une atmosphère volatile et très délétère provoquée par des perspectives politiques qui n’offrent aucun espoir de voir notre pays échapper à des lendemains troubles, à des turbulences et à des situations de désordre difficiles. Tout ceci est de la seule et unique responsabilité du Président Macky Sall qui entretient sciemment le flou sur ses véritables intentions par rapport à l’élection présidentielle du 25 février 2024. S’il ne s’est pas déterminé de vive voix, il n’en pose pas moins des actes qui indiquent clairement qu’il se prépare pour briguer un troisième mandat que lui interdit la constitution présentement en vigueur dans notre pays laquelle, à l’alinéa 2 de son article 27, dispose que « NUL NE PEUT EXERCER PLUS DE DEUX MANDATS CONSECUTIFS. »

Le Président Macky Sall qui est le constituant dérivé, n’a eu de cesse, à plusieurs reprises et en diverses occasions, d’affirmer que jamais il ne se présentera à l’élection présidentielle du 25 février 2025 qui marquera le terme de ses deux mandats consécutifs. IL s’était lui-même érigé en chantre, apôtre et ardent héraut de ce que ses affidés présentaient à l’époque comme une grande avancée démocratique, à savoir, la lutte contre le troisième mandat. En aucun moment les populations n’ont émis le moindre doute sur la sincérité de son discours qu’elles se sont appropriées et qu’elles évoquaient partout pour vanter l’exception sénégalaise.

Malheureusement, nous assistons à ce qui ressemble à un revirement spectaculaire de la part du Président Macky Sall dont les présumées velléités évoluent inexorablement vers une volonté réelle de se présenter à l’élection présidentielle du 25 février 2025. IL est clair que s’il revenait sur sa parole, le Président Macky Sall commettrait une grave abjuration et un extraordinaire parjure que certains, à tort ou à raison, n’hésiteront pas à qualifier de haute trahison. Les véritables intentions du président sortant ne s’accommodent pas de voix discordantes qui s’opposent au projet et dénoncent la forfaiture. Aussi, les tenants du pouvoir ont-ils déclenché une véritable campagne pour mettre sous cloche toutes les voix dissidentes. Aucun segment de la société n’est épargné; ainsi, artistes, politiciens, intellectuels, religieux, activistes et membres de la société civile, sont tous traqués, arrêtés et souvent mis en prison pour avoir rappelé et exiger le respect de la constitution; les téléphones sont mis sous écoute. Nous assistons à des arrestations tous azimuts et à des interpellations intempestives que, dans certains cas, rien ne justifie et qui, parfois, prennent les allures de kidnappings.

La paranoïa pénitentiaire qui s’est emparée des autorités est plus que contreproductive; la propension effrénée des autorités à systématiquement envoyer en prison toute personne qui exprime une opinion contraire aux leurs produit l’effet contraire de leur objectif. Aujourd’hui, beaucoup de nos compatriotes, notamment les jeunes pensent qu’un séjour en prison est une voie obligée pour affirmer son amour pour la patrie; la prison devient un lieu symbolique d’incubation de l’engagement citoyen, de l’éveil de la conscience et de la radicalité partisane. Les autorités doivent imaginer ou réinventer une nouvelle approche pour mieux gérer les contradictions sociales et politiques.

Cette frénésie répressive et cette chape oppressive sur les populations ne font qu’exacerber les tensions sociales et politiques à un moment ou les efforts devraient tendre vers la pacification de l’espace public et l’instauration des débats civilisés et contradictoires. Le dialogue initié par le Président Macky Sall aurait du être l’occasion pour redéfinir et établir les bases d’échanges responsables et fructueux pour de nouvelles règles et de nouveaux paradigmes consensuels. Malheureusement, dès le premier jour, à part quelques interventions pertinentes dont celles remarquée et remarquable de Cheikh Bamba Dièye, confirmant sa réputation d’homme véridique, on s’est vite rendu compte que ces assises n’aboutiront à rien de profitable ni de bénéfique pour les populations, donnant raison à ceux qui l’ont boycotté. A l’occasion, le Président Macky Sall a fait montre d’une suffisance, d’une condescendance à la limite de l’arrogance, en évoquant le troisième mandat ; il s’est approprié le mandat présidentiel pour en faire un bien personnel dont il peut disposer à sa guise. Selon lui, il lui appartient de le conserver ou de le céder; quelle conception de la démocratie.

Le Président Macky Sall, comme je l’ai toujours dit, agit et réagit avec une effarante désinvolture et semble ne pas comprendre la valeur de son statut, le sens de ses éminentes fonctions et la lourdeur de ses responsabilités; il doit savoir, et au besoin on doit le lui rappeler, qu’il tient ses pouvoirs du peuple dont il n’est que l’humble serviteur, l’esclave. On ne peut pas appeler au dialogue et se permettre de persifler, de faire des allusions pernicieuses et de lancer des saillies à des compatriotes qui ont librement choisi de ne pas répondre à un dialogue spécieux destiné uniquement à se frayer un chemin pour sortir d’une impasse. Aujourd’hui, qu’il l’admette ou pas, le Président Macky Sall est habité par une très grande peur par rapport à l’élection présidentielle du 25 février 2024 à laquelle il ne devrait pas participer si l’on s’en tient et se réfère à la constitution. Antérieurement, il avait réussi à éliminer des adversaires très sérieux comme Karim Wade et Khalifa Sall de la course présidentielle pour s’offrir toutes les chances de victoire. Il est évident qu’il se livre aux mêmes manœuvres pour écarter le plus dangereux, le plus menaçant, le plus coriace et le plus populaire de ses futurs adversaires, en l’occurrence, le sieur Ousmane Sonko, leader du Pastef donné comme favori par presque tous les sondages. L’institution judiciaire est particulièrement mise à contribution dans cette entreprise de liquidation.IL est indéniable et manifeste que le leader du Pastef fait peur au Président Macky Sall parce qu’étant le seul à pouvoir le battre si jamais il se présentait.

IL est dit que la peur est difficile à combattre car elle est une affaire de perception fortement individualisée lorsqu’il s’agit d’anticipation, d’évènements à venir comme la prochaine présidentielle. Cette peur peut se transformer en angoisse qui est le prolongement de la peur; ce qui semble être le cas pour Macky Sall. La peur s’efface lorsque l’objet qui en est à l’origine disparait; celle que nourrit Macky Sall vis à vis d’Ousmane Sonko s’estompera avec la disparition de ce dernier. IL ne s’agira guère d’une disparition physique, même si certains partisans du président ressentent et expriment un véritable « animus nécandi » à son égard, mais de son élimination de la compétition électorale par tous les moyens. Cette volonté de vouloir faire disparaitre le leader du Pastef peut aller jusqu’à envisager la dissolution de son part et l’éliminer de la scène politique; c’est le sens qu’il faut donner à la campagne de neutralisation massive des principaux responsables de ce parti dont je ne suis pas membre comme certains le suggère. 

Je ne saurais terminer sans évoquer deux choses, d’abord, le verdict prononcé à la fin du procès « sweet beauty », ensuite, les manifestations de rue qui se passent chez nous. Concernant, l’affaire « sweet beauty », le verdict prononcé relève d’un déni de justice qui n’honore pas notre pays. J’ai de tout temps soutenu que c’est un dossier qui n’aurait pas dû dépasser les locaux de la Section de recherches de la Gendarmerie; et si le procureur avait vite fait de réclamer le dossier aux enquêteurs; c’est parce qu’il avait senti que ces derniers s’orientaient vers les commanditaires.

Quant aux manifestations de rue qui prévalent en ce moment, on ne peut que les déplorer et s’en désoler; il faut condamner les actes de vandalisme et de banditisme commis par des gens malintentionnés, guidés par des objectifs pas du tout nobles, à distinguer des manifestants patriotes. De la même manière et dans un souci d’honnêteté intellectuelle, il y a lieu de dénoncer les brutalités et violences gratuites et inutiles commises par des éléments zélés des forces de l’ordre agissant sur leurs propres initiatives. En tant que professionnel, j’ai relevé des cas d’indiscipline tactique qui résultent de beaucoup de facteurs que je me garde, par un sens des responsabilités, d’évoquer ici. J’ai vraiment été outré, indigné et scandalisé par une image montrant des policiers se servant d’un jeune manifestant comme bouclier humain. Si ce sont des policiers sénégalais et que les faits soient avérés, je ne reconnais plus cette grande et prestigieuse police dans laquelle j’ai servi et à laquelle j’ai consacré les plus belles années de ma vie. La devise de la police est « Dans l’honneur, au service de la loi »; cette image en plus d’être déshonorante, est d’une affligeante illégalité. 

Les forces de défense et de sécurité sont équipées et armées pour assurer la sécurité des populations; aussi doivent-elles agir immédiatement et avec la plus grande vigueur pour mettre un terme aux agissements criminels des hordes de nervis recrutés par des dignitaires du régime. Notre pays traverse des moments très difficiles de son histoire avec des risques de voir s’installer durablement des affrontements entre différents segments de la population, toutes choses pouvant dégénérer vers une guerre civile. Les nervis, très grassement rénumérés par des gens qui en ont véritablement les moyens, semblent échapper au contrôle des forces de défense et de sécurité qui doivent s’imposer pour se réapproprier l’espace public. Malheureusement, on a la fâcheuse et désagréable impression qu’elles semblent s’accommoder de leur présence; n’a-t-on vu des hommes en uniformes en compagnie de nervis armés pourchassant des manifestants? IL est de la plus grande urgence pour les forces de défense et de sécurité de se réapproprier exclusivement l’espace public et de remplir sans faiblesse leurs missions régaliennes.

Le dialogue national a été initié pour, parait-il, discuter de l’avenir du pays et à ce titre aucun segment de la population ne devrait en être écarté; aussi serait-il normal et légitime d’y impliquer les forces de défense et de sécurité pour des débats inclusifs dont les conclusions s’imposeront à tous. Les forces de défense et de sécurité, par des voies appropriées, compte bien tenu de leur particularité et spécificité, ont leur mot à dire d’autant qu’elles ont la lourde responsabilité de garantir la stabilité du pays, la permanence des institutions ainsi que la protection des personnes et des biens.

A ces forces de défense et de sécurité, nonobstant les erreurs, dérapages et autres maladresses commis sur le terrain et qui s’expliquent souvent par les dures conditions d’exercice de leurs missions, j’adresse mes félicitations et les encourage à toujours conserver une posture républicaine pour toujours bénéficier de la confiance des populations. Elles doivent se montrer de véritables professionnels; le professionnel étant défini comme quelqu’un qui est capable de faire simultanément la praxis de son métier et d’y réfléchir. IL leur appartient d’adapter leurs doctrines, modes et protocoles d’intervention aux nouveaux défis avec comme difficulté principale de trouver l’équilibre entre les impératifs de garantir l’ordre public et l’exercice des libertés publiques.

Le retour à la paix, à une situation normale dépend de la seule volonté de Monsieur le Président de la république, Macky Sall qui détient les clés de la pacification de l’espace public. IL lui suffit tout simplement de s’adresser aux Sénégalais en ces termes; « Conformément à la constitution qui à son article 27 dispose que nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs, dans le souci de respecter ma parole, de préserver ma dignité et de sauvegarder mon honneur et par devoir de reconnaissance envers mon pays qui m’aura tout donné, je ne me présenterai pas à l’élection présidentielle du 25 février 2024; je m’engage à organiser une élection démocratique, libre, transparente et inclusive. » LE POUVOIR AU PEUPLE.TERMINUS 2024. 

Dakar le 05 juin 2023.

Boubacar SADIO 

Commissaire divisionnaire de police De cl exceptionnelle à la retraite.

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