En conférence de presse ce jeudi 22 juin 2023 à Paris, Me Juan Branco est revenu en détail sur la procédure de saisine de la Cour pénale internationale (Cpi) contre l’État du Sénégal, pour crime contre l’humanité. Et le moins que l’on puisse dire est que l’avocat français de l’opposant Ousmane Sonko, n’a pas douché les attentes. Ses révélations documentées font froid dans le dos. Au cours de cet exercice très médiatisé et suivi par de nombreux Sénégalais, la robe noire livre les preuves du recrutement, du financement et de l’armement, par l’État du Sénégal, de la milice paramilitaire appelée «nervis».
Celle-ci opérait, selon lui, en parfaite collaboration avec les forces de l’ordre et serait l’auteure des 16 morts et des centaines de blessés par balles dénombrées lors de la crise sociopolitique du début du mois de juin.
«Macky Sall, sa femme Marième Faye Sall et son fils Amadou Sall sont responsables du recrutement et du financement de ces forces paramilitaires appelées nervis pour la commission de crimes contre l’humanité», a déclaré Juan Branco.
D’autres proches du président Sall gravitant autour de la présidence de la République sont également cités pour leur implication dans le recrutement de nervis.
C’est le cas de Meïssa Sellé Ndiaye, aide de camp particulier du président de la République, Abdoulaye Sall dit "Laye Kara", chauffeur du président, Farba Ngom, griot du président.
D’après l’avocat français, ce dernier aurait créé des fiefs pour ces nervis et a participé à constituer des groupes.
Une commande de 104 t d’armes livrée à la présidence
Des questionnements ont fusé au lendemain des événements du début du mois de juin. Plusieurs médias internationaux qui ont mené des enquêtes sur ces nervis ont été choqués par leur niveau d’armement en matériel militaire. Juan Branco a retracé dans les moindres détails l’origine de ces armes.
«Afin d’armer ces nervis, la présidence de la République, elle-même, directement en tant qu’institution, a mis en place des commandes d’armes particulièrement massives dont nous avons retracé le cheminement», soutient le juriste français.
Ces commandes, poursuit-il, «ont été organisées avec l’aide d’un intime de Macky Sall qui s’appelle Gabrielle Perez. À la tête d’une société bien connue, Gabrielle Perez a fait livrer 104 t d’armes à la présidence de la République au deuxième semestre 2022».
A l’en croire, ces armes sont en partie encore stockées à l'ancien aéroport de Dakar Léopold Sédar Senghor. Elles font l’objet de distribution à partir de ce lieu et sont également «placées dans des caches dans certains espaces du territoire sénégalais, de façon à pouvoir être mobilisées en cas de crise politique».
Revenant en détail sur la composition de ces 104 t d’armes, il souligne qu’elles sont constituées, en partie, de munitions pour des armes lourdes et des armes légères, et sont à la disposition exclusive de la présidence de la République.
Ceci, précise-t-il, en dehors de tout contrôle démocratique. Le financement de ce contrat d’armement serait lié à toute une série de fonds spéciaux qui échappent «au contrôle politique sénégalais et des représentants de la nation».
L’attestation de livraison, Khalil, Amadou Sall et la visite de Perez
L’avocat français détient d’ailleurs une attestation de livraison (document signé le 11 octobre 2022) dans laquelle le gouverneur militaire du palais, le colonel Adama Guèye, soutient que le matériel susmentionné est destiné à «l’usage exclusif de la présidence de la République». Une quantité importante de matériel militaire qui intrigue.
«Trois millions de munitions 45 mm, 3 250 000 de munitions 9 mm ; 210 000 munitions 7 mm, 7 millions de munitions exclusivement réservées à l’usage du palais présidentiel. Dans quel régime politique qui se veut démocratique, la présidence de la République se fait livrer, à usage exclusif, 7 millions de munitions ? Quelles sont ses intentions ?», questionne-t-il.
L’avocat est allé plus loin dans ses révélations pour le moins renversantes, en établissant un lien entre le fils du président, Amadou Sall, le gérant de la société qui a réceptionné la commande et le fournisseur, le Belge Perez établi en Israël.
«Ces livraisons proviennent de Saint-Pétersbourg (Russie). La commande a été réceptionnée par la société sénégalaise 2TL sise à Nord-Foire n°45 à Dakar, qui est détenue par un certain Khalil, un ami très proche d’Amadou Sall, fils du président», confie avec précision Branco.
Il ajoute : «Nous avons jusqu’aux manifestes des conteneurs et la signature du capitaine qui a transporté ces armes. Ainsi que l’ensemble des réservations faites par Gabriel Perez au Pullman Teranga de Dakar, à la veille des événements de juin 2023 au Sénégal, sûrement pour préparer ces crimes.»
Au terme de cet exercice, l’avocat va déposer 4 500 éléments de preuve contre 112 suspects pour crime contre l’humanité devant la CPI et les juridictions françaises.