« La parole reflète l’âme » - Sénèque
Le Sénégal a engendré de grands hommes politiques à la hauteur de notre réputation démocratique dans le monde, des hommes et des femmes contributeurs par leur posture à la trame historique héritée des anciens et que ceux aujourd’hui aux affaires entretiennent en l’écrivant avec responsabilité. Ceux qui ont occupé les plus hautes responsabilités étatiques dans notre pays se sont systématiquement comportés de manière honorable après leurs fonctions, de manière à laisser immaculée leur image républicaine dans le récit national, qu’ils aient fait le choix de continuer leurs activités politiques ou qu’ils aient préféré le retrait de la scène publique. En raison de leur vécu comme Chef du Gouvernement et de l’attendue sublimation des valeurs intrinsèques de l’individu à l’épreuve du pouvoir, tous nos anciens Premiers ministres, ont ceci de commun qu’ils ont posé des limites à leur discours et apporté un cadre référentiel sérieux à leurs interventions, s’abstenant de toute outrance au bon sens et à la vérité, malgré la solitude des fins de fonction, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, prenant soin d’être à la hauteur des charges qu’ils ont assumées et éviter ainsi de prendre part au sketch médiatique à peu de frais. Tous ont conscience du poids de leur parole et de ses probables implications, malgré la tentation du « micro ouvert », même au plus fort de leurs postures d’opposant, pour certains d’entre eux. Ces hommes d’Etat évitent tous de se faire poursuivre par la clameur publique par la faute d’une sortie de route imputable à une parole non maîtrisée. Tous, sauf un.
Personne n’aurait trouvé à redire si un ancien Premier ministre du Sénégal (juin 2007 – avril 2009) n’était pas l’auteur d’une affabulation grotesque qui a fait bondir de stupéfaction le pays tout entier, suscitant les interrogations les plus farfelues, avant que la réalité de la fourberie ne retombe aussi froide que cruelle, vide de sens, sans effets ni objets. Hadjibou Soumaré a adressé récemment au Président de la République une « lettre-ouverte » -en réalité un avis publié dans la presse- dans laquelle il lui demande de se prononcer sur un don de 7 milliards FCfa qu’il aurait fait à Mme Marine Le Pen, en marge de l’audience qu’il a bien voulu accorder à cette dernière lors de sa récente visite au Sénégal ! Vous lisez bien, nous sommes en mars 2023 ; nous ne sommes point dans une télénovela de « Netflix », une création d’un tik-tokeur en mal de vues ou une comédie récompensée lors du dernier Fespaco de Ouagadougou (tiens, tiens). Il parle bien du Président Macky Sall, Président de la République du Sénégal et que nous travaillons à faire rempiler le 25 février 2024 ; oui, vous ne vous trompez pas, l’heureuse bénéficiaire de ce don tombé du ciel, toujours dans ses rêves, serait Mme Marine Le Pen, chef du principal parti français d’extrême-droite, plusieurs fois candidate à la présidence de son pays.
L’impossibilité pour Hadjibou Soumaré de se faire élire ne serait-ce que comme chef de quartier de Randoulène, à Thiès, à fortiori de réunir assez de parrainages pour prétendre à un début de candidature à la magistrature suprême, ne saurait tout expliquer. Ce sieur n’est pas seulement un ancien Premier ministre, ne l’oublions pas ; il a aussi été désigné par son pays pour diriger la Commission de l’Uemoa (2011 – 2017), à Ouagadougou. Malgré ses études universitaires en économie, son brevet de l’Enam, sa carrière d’inspecteur du Trésor au ministère des Finances, son poste de ministre du Budget, avant celui de Chef du gouvernement, ses consultations à l’international, malgré son âge et ses 37 ans de carrière (1980 – 2017), Hadjibou Soumaré veut ouvrir un ultime chapitre dans sa vie publique en usant de la méthode du desperado qui, n’ayant plus rien à perdre, entend mettre le feu à la brousse qui l’entoure, altérant ce qu’il a représenté pour s’autoriser une telle funeste entreprise ; oubliant surtout que son champ ne survivrait pas à un tel incendie. Ses ambitions, jusqu’ici refusées par le parrainage citoyen, devraient trouver des voies d’expression plus raisonnables que l’affabulation. Il est à la peine, c’est vrai, mais cela ne l’excuse pas.
Le gouvernement a apporté hier un cinglant démenti aux allégations de M. Soumaré. Cette saillie inconvenante qui n’honore point son auteur, aurait été comprise si elle émanait de la nouvelle congrégation politique qui fait feu de tout bois actuellement dans les réseaux sociaux, celle du mensonge et de l’affabulation, celle de la désacralisation de nos institutions et du pillage de nos mémoires collectives par de fausses réécritures de notre Histoire. Mais elle émane d’un homme qui, en tant que Premier ministre, a assuré la permanence de l’exécutif lors des voyages à l’étranger du Président de la République d’alors ; un homme dont la signature avait puissance d’acte de pouvoir, qui assistait au conseil national de sécurité, qui prenait des actes engageant l’Etat en entier, bref d’un homme censé être responsable, mais qui au finish, se révèle être un pleutre ambitieux manipulable par le premier ragot. Il ne fait que révéler, sur le tard, sa nature profonde de fourbe, comme peuvent en attester beaucoup d’anciens responsables du Pds qui le voyaient souffler le froid le jour, et le chaud la nuit ; haut fonctionnaire désintéressé le jour, homme politique raté la, nuit. On comprend que le contexte soit à la surenchère, alors que la présidentielle de février 2024 occupe les esprits, et que les éclopés électoraux comme Hadjibou Soumaré perçoivent cette échéance comme celle de toutes les amères vérités pour eux. Mais, un enseignement est à tirer de cette mascarade. On sait que les enjeux de sécurité dans notre pays ont changé de nature. Aujourd’hui, le web 2.0 et les réseaux sociaux ont ouvert un nouveau monde et forgé de nouvelles citoyennetés numériques mais avec des de réelles menaces sur la cohésion nationale et notre commun vouloir de vie en commun. L’un des aspects de la prévention du terrorisme se trouve justement dans les opportunités offertes aux groupes clandestins pour déployer des campagnes de calomnies. On est en arrivé aujourd’hui à voir des individus porter des injures à nos guides religieux avec l’encouragement du sentiment d’impunité qui accompagne l’anonymat sur internet ! Par la désinformation, les fake-news altèrent la qualité du débat politique et exacerbent de vraies fausses tensions. Or, la bonne information du citoyen est le préalable à sa participation judicieuse à la vie de la Cité. Heureusement, le sort de tout mensonge est de ne pas résister au temps, implacable par la vérité qu’elle apporte. La nouveauté est que les officines de désinformation peuvent maintenant atteindre et faire dire des mensonges à des personnalités. A moins que ces dernières ne travaillent pour elles.
Par Abdoulaye Saydou SOW
Ministre de l’urbanisme du logement et de l’hygiène publique
Membre du secrétariat exécutif national de l’Apr 7 mars 2023