Non, dormir n’est pas pour les petites natures. Voilà le message central du livre de Steven Laureys, neurologue flamand mondialement réputé qui a passé énormément de temps à analyser l’activité cérébrale de sujets endormis. Et a personnellement frôlé la mort par cause de manque de sommeil. “J’entends encore le crissement de la carrosserie de ma voiture sur la berme”, se souvient-il.
8 heures et 11 minutes. Le professeur Laureys lit sur son smartphone combien d’heures il a dormi la nuit précédente. Une Apple Watch au poignet gauche, une Oura Ring sur l’annulaire droit, il suit de près ses constantes nocturnes. “J’avais aussi une Fitbit au poignet droit, mais ma femme m’a forcé à l’enlever, elle commençait à trouver que ça faisait trop nerd de me balader avec trois outils de mesure en même temps sur moi. Mais j’aime avoir cet aperçu de mon sommeil. C’est comme ça que je sais que le mois dernier, j’avais une moyenne de 8 heures et 14 minutes au lit par nuit. Fantastique, non?”, confie-t-il. Le médecin jubile un peu. Il veut que tout le monde comprenne que le sommeil n’est pas essentiel que pour les petites natures.
Le neurologue exerce au CHU de Liège, mais est une sommité mondiale en matière de coma et de conscience. En Flandre, il est connu du grand public depuis sa participation à l’émission “Topdokters”. Il a aussi été l’un des premiers spécialistes des médecines traditionnelles à vanter les mérites de la méditation. “Ce que beaucoup de gens ne savent pas, c’est que je fais aussi beaucoup d’études sur le sommeil. En 1997, j’ai rejoint Liège pour y effectuer des PET-scans - scans effectués après une injection de substance radioactive - chez des patients endormis. Cela nous a permis de voir à quel point le sommeil est crucial pour la mémoire, et comment notre cerveau assimile de nouvelles compétences comme rouler à vélo ou faire du snowboard pendant qu’on dort. Ironie de l’histoire: à cause de la nature de mon travail, je campais moi-même avec un grand manque de sommeil. J’ai même souffert d’hallucinations: je voyais des personnes qui n’étaient pas là dans les couloirs de l’hôpital. Et aujourd’hui, j’entends encore le crissement de la carrosserie de ma Toyota Corolla contre le garde-corps en métal sur la route que j’avais empruntée pour revenir d'un service de nuit. Je m’étais assoupi au volant”.
Dans son nouveau livre, Steven Laureys dévoile comment le sommeil fonctionne, mais aussi l’impact qu’il a sur notre vie. Sa vision n’est pas limpide: elle fait l’objet de nombreuses considérations et doutes, car il demeure nombre de mystères sur le sommeil qui n'ont pu être élucidés. Les rêves en font partie.
Mais s'il y a une chose dont le neurologue est convaincu, c’est la question du rythme biologique des jeunes: “Nous ferions bien mieux de faire commencer l’école secondaire à 9h30 ou 10 heures”. Lui-même père de cinq enfants, il sait que les adolescents ont besoin de rester plus tard dans leur lit. “Si vous leur dites: ‘Sors de ton lit, fainéant’, alors vous allez à l’encontre de la nature. Car la vérité, c’est que durant la puberté, votre enfant a un autre biorythme. Donc je crois que notre société moderne ferait mieux de s’y adapter. Des projets pilotes ont déjà démontré les avantages, également pour les enseignants, d’avoir une classe soudain plus éveillée. J’espère que les politiciens, coupoles de l’enseignement, syndicats et toutes les parties prenantes - parce que je sais que ce n’est pas un petit changement - prendront la peine de l’envisager”.
“Ce sont non seulement les jeunes, mais également les adultes, qui ne sont pas assez conscients de l’impact qu’à chaque moment de la journée sur nos capacités cognitives. Ce n’est par exemple pas malin de programmer une réunion au début de l’après-midi, pile au moment où tout le monde digère son repas de midi et a un coup de barre. Prendre de grandes décisions après d’interminables discussions, quand plus personne n’est en état de réfléchir correctement, ce n’est pas malin non plus. Et les politiciens donnent souvent le mauvais exemple avec leurs marathons de négociations au finish, souvent dans la nuit. C’est absurde. Il y a déjà eu tellement de recherches sur les prestations intellectuelles de personnes qui sont privées de sommeil. Toutes, sans exception, prouvent que les performances diminuent cruellement”.
Le professeur belge est actuellement au Québec avec sa famille. Il y a mis sur pied un véritable laboratoire au sein du CERVO Brain Research Centre afin d’étudier, entre autres, les commotions cérébrales. Mais il continue de suivre ses patients de l’hôpital liégeois. “On voit passer des politiciens connus, mais aussi des chefs d’entreprise et des athlètes de renom. C’est avec le dernier groupe qu’il est le plus facile de travailler: les sportifs savent pertinemment quelle est l’importance de leur sommeil. Mais les CEO et les politiciens, ils sont difficiles à convaincre. Pas étonnant d’ailleurs, car quand vous ne dormez pas assez, vous perdez votre faculté à percevoir que vous n’allez pas bien. Ces patients souffrent de stress, de burn-out, d’angoisses, de dépression et de troubles du sommeil. Le plus souvent, ils clament ‘ne pas avoir besoin de dormir beaucoup’. Mais c’est une illusion. Il existe bel et bien des gens qui n'ont besoin que de quelques heures de sommeil, mais c’est une part très marginale de la population”.
“Il faut apparemment généralement foncer droit dans le mur avant de réaliser qu’il est temps de changer son hygiène de vie. Comprenez-moi bien: je ne suis pas en train de dire qu’il faut devenir moine et je ne milite pas pour faire de son foyer un camp militaire où tout tourne autour des heures de coucher, sans plus faire la fête ou boire un verre d’alcool. Je profite moi-même de la vie, donc je veux que ça soit le cas des autres aussi. Mais je conseille simplement aux gens de ne plus oublier l’importance de dormir et d’avoir une bonne hygiène de sommeil. Encore une fois, cela peut très bien être géré d'une manière agréable. Car le meilleur somnifère est le sexe. Et celui-là, au moins, n’a que peu d’effets secondaires (il rit)”.
Comment reprendre le contrôle sur ses rêves
“Le grand public les connaît peu, et pourtant, ils sont fantastiques... je parle des rêves lucides. Il s’agit de ces moments où vous êtes conscient d’être en train de rêver et où vous décidez d’une partie de votre rêve. Vous décidez d’aller à droite ou à gauche. D’ouvrir une porte, de voler. Mais par contre, vous ne décidez à nouveau plus de la suite du scénario”. Steven Laureys sait qu’il a surtout connu ce type de rêves lorsque ses enfants étaient en bas-âge et que ses nuits étaient entrecoupées. “J’étais souvent réveillé en plein sommeil paradoxal, donc lorsque je rêvais. De cette manière, je me souvenais mieux de mes rêves, et cela m’aidait à vivre mes rêves en en était conscient”. Pas d’inquiétude si ces explications vous laissent perplexes: les rêves lucides sont une évidence pour certaines personnes, et ne diront strictement rien à d’autres. “Les femmes et les enfants y sont beaucoup plus sujets, mais c’est aussi une question d’entraînement. Notez vos rêves en vous éveillant, pour en prendre davantage conscience. Il existe aussi des technologies comme un signal sonore ou un clignotement qui retentissent lorsque vous êtes en train de rêver. Cela peut mener à des expériences fantastiques. Vous trippez comme si vous aviez avalé des champignons hallucinogènes, mais sans les effets secondaires”.