L’Afrique traverse une crise très profonde qui remet en cause les fondements même l’Etat en tant qu’organisation. Les Forces de Défense et de Sécurité se heurtent à des obstacles pour pouvoir assurer la sécurité des personnes et des biens, à protéger l’intégrité territoriale, mais aussi, à anticiper sur les changements anti constitutionnels de régime. Le paradoxe, c’est que, ce sont des présidents démocratiquement élus, pour un second mandat, qui sont renversés. Qu’est ce qui explique ce phénomène désormais à la mode dans la sous-région ?
En Afrique de l’Ouest, l’Etat est en faillite, avec la déliquescence de sa composante la plus stratégique que sont les Armées nationales. Telle une épidémie, le variant du coup d’Etat est en train de circuler dans la région ouest africaine faisant même oublier la Covid-19 et ses conséquences dramatiques.
Ce sont les Armées sensées défendre l’Etat et son intégrité qui s’attaquent à celui-ci et à ses symboles. Or, l’Armée devrait être un rempart contre l’effondrement de l’Etat, la Nation.
Décidément, les terroristes ne constituent plus un problème majeur pour nos Etats. Ce sont plutôt, les militaires, dont la mission première, est de défendre les Institutions, qui se sont retournées contre ces dernières, et qui ont confisqué le sommeil des Chefs d’Etat.
Il serait alors pertinent d’analyser le profil de ces types de soldats qui confisquent les pouvoirs en Afrique de l’Ouest, d’épier avec diligence leur parcours et leur source motivation. La remarque généralement faite, c’est qu’ils ont fréquenté les mêmes Ecoles de formation et ils appartiennent pour la plupart, aux Forces spéciales de leur pays respectifs.
Cependant, face à cette situation de confusion et d’inquiétude, les Chefs d’états-majors des Armées de la CEDEAO doivent vite se concerter pour stopper la propagation de ce virus des coups d’Etat. Leur posture de spectateur n’arrange guère la situation. Les CEMGA doivent agir et vite.
On se rappelle, le 25 Janvier 2013, les chefs d’états-majors ouest-africains avaient tenu une session d’urgence à Abidjan pour discuter des opérations militaires au Mali contre les islamistes qui occupaient le nord du pays.
En Novembre 2021, s’était tenue à Abidjan, la 41e réunion ordinaire du Comité des chefs d’état-major de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) sur la sécurité dans la sous-région.
En plus, très souvent, les Chefs d’Etat-major des pays du G5 Sahel, se réunissent pour dérouler leur plan d’action de lutte contre les terroristes.
Seulement, aujourd’hui, le terrorisme est une menace moins redoutable que les coups d’Etat inspirés souvent par : la mal gouvernance, la violation des libertés et des principes démocratiques, la corruption etc… dans ces pays touchés, dont l’élite militaire est souvent épinglée dans des affaires chroniques de malversation. Des manquements souvent dénoncés par les moins gradés qui se plaignent de la précarité de leur situation. Il va falloir alors corriger ces manquements pour mieux convaincre les soldats à rester dans les casernes.
Cependant, lorsqu’ils sont acclamés par les populations qui saluent la chute d’un régime, ne serait-il pas alors difficile d’arrêter cette vague ? Lorsque le Peuple adhère à l’action des militaires qui renversent un président réélu, cela pose une équation, autour de la crédibilité des élections elles-mêmes ? Pourquoi les populations acquiescent pour des coups d’Etat contre des dirigeants qu’elles ont-elles-mêmes élus ou réélus ?
En tout état de cause, les Chefs d’Etat-Major des pays comme le Sénégal, la Gambie, la Côte d’Ivoire, le Niger, le Togo, la Mauritanie etc… doivent, sans attendre, mettre sur pied une force d’intervention afin d’anticiper sur d’éventuelle tentative de coup d’Etat.
Dans un passé récent, bien avant la naissance du G5 Sahel, l’Algérie, la Mauritanie, le Mali et le Niger avaient mis en place le Comité d’état-major opérationnel conjoint CEMOC. Il était installé à Tamanrasset (Algérie) et il devait mettre en place un plan de sécurité régionale. Le CEMOC devrait disposer d’une force de 25 000 à 75.000. Ce fut un projet mort-né, et le CEMOC était devenu un machin sans efficacité dans un Sahel infesté de groupes terroristes avec ses lots de crimes. Aujourd’hui, le G5 Sahel n’a pas fait mieux que le CEMOC.
Il urge maintenant de mettre sur pied un nouvel organe pour protéger l’intégrité des Etats menacée par «une démocratie militaire» qui se propage. Il ne s’agit guère de «printemps du Sahel », dans la mesure où, à la place des populations révoltées contre un régime, ce sont des soldats qui écourtent les mandats présidentiels même si souvent, les causes sont d’ordre politique et social.
Aujourd’hui, le Sénégal qui doit, sans complexe, affirmer son leadership dans la sous-région, devrait prendre les choses en main, pour d’abord, sécuriser son voisinage proche notamment la Gambie et la Guinée Bissau qui tanguent sur des fragilités sécuritaires.
Le Chef d’Etat-major des Armées du Sénégal, devrait, sans hésiter, entrer en contact avec ses collègues gambiens et guinéens afin de mettre en place une force d’intervention militaire pour effectuer des patrouilles dissuasives, et pour ensuite progressivement l’étendre vers d’autres pays. Il faudra également mettre en contribution tous les corps des Armées et les Renseignements. Tous les états-majors gambiens, sénégalais et guinéens, doivent être en alerte maximum pour assister la Guinée Bissau.
En Gambie, la situation est aussi très fragile du fait des soldats diolas appartenant à l’ethnie de Yahya Jammeh qui se sentent écartés depuis l’arrivée d’Adama BARROW au profit des peuls. En vérité, ils ne sont pas mis à l’écart, ils ont tout simplement perdu, les privilèges indus que leur accordait Jammeh. Malgré la réélection de BARROW à un second mandat, tout comme IBK, Alpha Condé, Idriss DEBY et Roch Kaboré, l’étaient, la situation politico-sociale demeure fragile, même si le contingent de la CEDEAO poursuit toujours sa mission à Banjul.
Au Niger, les 30 et 31 mars 2021, c’est-à-dire, 48h avant son investiture, Mohamed Bazoum avait échappé à une tentative de coup d’Etat. Il s’agissait d’un commando d’une unité des forces spéciales qui avait tenté de le renverser avant sa prestation de serment. Il a été obligé par la suite de recruter des mercenaires algériens pour composer sa garde rapprochée.
A Bissau, le 15 Octobre 2021, une tentative de coup d’Etat a été déjouée et elle se répète à nouveau, hier 01 Février 2022. C’est à l’image de Roch Kaboré qui avait réussi à neutraliser la première tentative de renversement de son régime le 12 Janvier 2022, avant de tomber quelques jours après, c’est-à-dire le 23 Janvier 2022. Pour renforcer sa sécurité, Emballo aurait envoyé en formation, des soldats de son ethnie dans un pays occidental. Ces derniers devraient composer sa garde rapprochée.
Il a été remarqué, qu’aucun Général n’est impliqué dans les coups d’Etat perpétrés ces derniers jours, dans la sous-région. Ce sont des Colonels ou des Sous-officiers qui prennent le pouvoir sous l’œil impuissant des généraux avachis.
Jusqu’à présent, la CEDEAO qui risque d’épuiser son encre avec ces nombreux communiqués de mise en garde, devrait plutôt apporter une réponse aux questions suivantes :
1-Qu’est-ce qui pousse les militaires à renverser les présidents démocratiquement élus ?
2-Pourquoi, les populations soutiennent les régimes militaires ?
Par ailleurs, il a été remarqué que ces coups d’Etat visent aussi les chefs d’Etat qui ont fait acte d’allégeance à la France. Juste pour dire que le sentiment anti français ronge petit à petit, les fauteuils de ces présidents accusés de défendre les intérêts de Paris au détriment de leur population.
Insistons à dire et à répéter que les peuples sont pressés ! Les Jeunes veulent tout et tout de suite. La Jeunesse (civile et militaire) est en quête d’une solution alternative à leur situation précaire. En plus, les conséquences, de l’échec des politiques publiques, la corruption, la justice domestiquée etc… n’épargnent ni les casernes ni les foyers.
Questionné par Sputnik, Lucien Pambou, professeur de sciences économiques et politiques, chargé d’enseignement à l’université Paris XIII, soutient que «ce à quoi nous assistons actuellement dans la partie ouest du continent africain est la fin du modèle de gouvernance français, qui était depuis longtemps à bout de souffle».
Cette remarque est confirmée par cette épidémie de coups d’Etat, qui n’a touché que d’anciennes colonies françaises à l’exception de la Guinée Bissau. Ceux qui ont parlé de nouvelle ère décolonisation n’ont pas tort.
Laurent Bigot, ancien sous-directeur Afrique de l’Ouest au ministère français des Affaires étrangères, n’exclut pas de nouveaux coups d’États dans la région. Il explique à Sputnik que l’on peut craindre une contagion au Niger et peut-être en Côte d’Ivoire qui semblent être les prochains sur la liste » lit-on dans le «Sputnik » du 29 Janvier 2022. Monsieur Bigot dira qu’il s’agit de «gouvernements illégitimes, car les élections sont bidonnées, de plus leur gouvernance est désastreuse. Avec la pression sécuritaire cela déclenche des situations explosives”, note l’ancien diplomate ».
Selon lui toujours, «en Côte d’Ivoire, le Président Alassane Ouattara, 80 ans depuis le 1er janvier, est à la tête du pays depuis 10 ans. Il peine à mettre en œuvre son plan de “bonne gouvernance et de lutte contre la corruption”, un des principaux axes de son programme politique ».
Sauf qu’en Côte d’Ivoire, l’armée est contrôlée par des soldats musulmans appartenant à l’ethnie d’Ouattara. La garde présidentielle est composée exclusivement de parents proches d’Ouattara qui a d’ailleurs nommé son frère Téné Birahima Ouattara alias «Photocopie » au poste de Ministre de la Défense. A moins que les membres de son clan le renversent.
A propos du Sénégal, Lucien Pambou, professeur de sciences économiques et politiques, chargé d’enseignement à l’université Paris XIII a estimé que «ce pays est donc politiquement en avance sur de nombreux autres. Les récentes municipales l’ont encore démontré, le Président Macky Sall et la majorité présidentielle ont connu un revers dans la capitale Dakar et d’autres grandes villes comme Ziguinchor, et il n’y a pas eu de contestations».
Enfin, les Chefs d’Etats-majors des Armées doivent sortir de leur confort pour prendre en main la question sécuritaire. Le Sénégal devrait aider la Gambie et la Guinée Bissau, deux pays situés au Nord et au Sud de la Casamance bastion du défunt MFDC. Un régime militaire en Guinée et en Gambie n’arrangeait guère le Sud du Sénégal qui pourrait connaître à nouveau une instabilité.
Il est évident que le retour des militaires dans ces pays, risque de ressusciter ce mouvement indépendantiste, qui tire toutes ses ressources dans les trafics illicites.
Alors ni Barrow, ni Emballo ne doivent quitter le pouvoir… en dehors des circuits démocratiques… Il y va de l’intérêt du Sénégal.
Mamadou Mouth BANE