Loin de relever du mysticisme et du mythe, le « ñaam joodo » est l’astuce hospitalière du Sud qui promeut le mieux-être et le mieux-vivre en communauté. À Vélingara, dans la région de Kolda, beaucoup d’hommes sont également ferrés à la vitesse de l’éclair par le « ñaam joodo » qui transcende la légende charnelle.
Ses supérieurs ont dû hausser le ton et insister pour que Souleymane Ndiaye, juriste de formation, rejoigne son poste à Vélingara (Sud). Il a même fallu que sa hiérarchie brandisse la menace pour qu’il se résigne enfin à fouler le sol vélingarois. C’était il y a six ans. À cette époque, les préjugés et rumeurs défilaient dans son cerveau. Et Jules, pour les intimes, croyait ferme que Vélingara était une terre hostile, farouche et rebelle. Mais il va découvrir un peuple courtois et accueillant, des gens simples, une communauté pacifique unie par le sang et la chair. Au fil du temps, l’enfant de Pikine (re)trouve goût à la vie et découvre les sensations et merveilles du Sénégal des profondeurs. Loin du train-train dakarois, très loin de la pression quotidienne et du stress permanant de la capitale sénégalaise.
Plus les jours passent, plus Jules chérie davantage sa terre d’accueil. Sa rencontre avec une fille du nom d’Aïcha Diallo, une matinée de janvier 2018, marquera un tournant décisif dans sa (nouvelle) vie dans cette contrée du Fouladou. « J’ai croisé Aïcha au marché central de Vélingara. J’ai été subjugué par sa beauté, son charme et sa courtoisie. Pour moi, il n’était pas question de laisser passer cette chance. J’ai pris son numéro de téléphone et je suis passé à la vitesse supérieure ». Souleymane Ndiaye va, quelques semaines plus tard, épouser Aïcha. Aujourd’hui, le couple a deux enfants (une fille et un garçon). Pour manifester désormais son choix de rester vivre à Vélingara, Souleymane a construit une villa au quartier Sinthiang Woulata de Vélingara et compte finir ses jours dans cette localité.
Pour les proches, nul doute que Souleymane Ndiaye a été terrassé par le phénomène « ñaam joodo » (dans la langue locale, ce terme renvoie à une astuce cuisinière des femmes du Sud qui ferrent les hommes grâce à ce procédé). Jules n’est pas le premier et ne sera pas, sans doute, le dernier à se terrer définitivement, ou presque, sur la terre hospitalière de Vélingara, dans la région de Kolda.
En affectation ou en séjour périodique, certains fonctionnaires finissent par s’installer et élire domicile dans cette partie du Sud du pays. La grande beauté des femmes vélingaroises, l’hospitalité légendaire des sudistes, la vie harmonieuse en communauté, l’éloignement du foyer originel et les opportunités d’une vie à moindre coût… expliqueraient le choix de certains fonctionnaires sénégalais à élire domicile définitivement sur cette terre ferme de la Haute Casamance ou presque.
La quête d’un mieux-être
Même si le bruit a longtemps couru faisant du « ñaam joodo » un plat mystique concocté par la gente féminine du Sud, la réalité est tout autre. C’est une affaire de mieux-être et de mieux-vivre. Un fait social qui permet à l’homme de se sentir utile, d’être un maillon important de la société, de se construire et de construire son environnement, au grand bonheur de toute la collectivité.
Ancien banquier à la retraite, Oumar Diop, homme au visage creusé de rides, avait quitté son Saint-Louis natal pour rejoindre son poste d’instituteur à Vélingara. Après plusieurs années de service, il a pris femme, eu des enfants et construit une maison à Vélingara Fulbé, célèbre quartier vélingarois. « Les gens se trompent lourdement sur le sujet. Le « ñaam joodo » n’est pas un plat mystique qu’on offre aux étrangers. Il s’agit plutôt d’un mieux-être. Car, contrairement à la vie urbaine, la vie rurale ou semi-urbaine offre des commodités qui permettent à l’être humain de s’épanouir mais surtout de se sentir utile pour sa communauté, vice-versa. Loin du vacarme quotidien des villes industrialisées du Nord, Vélingara offre une nature généreuse, une vie vouée au culte du travail et de la considération communautaire », explique Oumar, conquis. Il enchaîne : « Je connais une trentaine d’amis qui étaient venus en affectation à Vélingara mais, au final, ils s’y sont installés définitivement. Ils y ont finalement élu domicile et vivent en famille, tous heureux ».
Pas de sorcellerie
De la joie dans le cœur de l’agent agricole Pape Mboup quand il a foulé, il y a 17 ans, le sol très accueillant de Vélingara. Autrefois, la ville n’avait pas une mine aussi radieuse que maintenant. Et pourtant, Pape était tombé sous le charme de cette contrée. Il a été séduit par la grande hospitalité et la simplicité des populations. « J’avais refusé de venir car pour moi une affectation à Vélingara était synonyme de sanction professionnelle, alors que j’avais une bonne réputation au sein de ma corporation. Mais dès que je suis arrivé sur place, j’ai eu une autre appréhension de la localité. Semi-urbain et semi-rural, Vélingara m’offrait tout le confort que je n’ai pu avoir chez moi à Thiès. Je ne veux plus y retourner, prévient Pape Mboup. Parce que tous mes trois enfants sont nés et ont grandi ici. Vélingara, c’est ma terre d’accueil ».
Cette terre ferme du Fouladou a la particularité de « ferrer » tout individu mû par le mieux-vivre, comme l’indique son nom « viens, s’il fait bon vivre ». Ici, le « ñaam joodo » charnel accroche les hommes et convainc les plus sceptiques. La nature généreuse berce. La femme prend soin de l’homme. La communauté intègre tout homme, quels que soient son rang et sa qualité, elle lui voue considération et estime. Pas de magie, pas de sorcellerie…, tout est dans l’approche et le savoir-être.
DJIBY DIAKHATÉ, SOCIOLOGUE
« Le « ñaam joodo » est une question de mieux-être et de mieux-vivre »
L’être, l’identité remarquable et les opportunités
« Il faut comprendre le phénomène « ñaam joodo » sous trois angles. La première chose, c’est qu’on respecte l’être humain non pas parce qu’il a mais parce qu’il est. Il est donc valorisé. Alors que dans certains milieux, on est dans l’anonymat total parce qu’on a plus tendance à mettre l’accent sur le matériel que sur autre chose. Ici, les identités remarquables sont les personnes les plus aisées. Dans des milieux comme Vélingara et Kolda, tout le monde a une identité remarquable. Vous sortez de l’anonymat parce que vous êtes un être humain. La deuxième chose, c’est la contribution apportée au bien-être de la communauté. Le plus souvent, les personnes qui arrivent dans ces localités sont des fonctionnaires, qui apportent une contribution, une plus-value au bien-être collectif, par le savoir qu’ils distillent et l’accompagnement qu’ils font pour certaines personnes. La troisième chose, c’est que dans le cadre de la décentralisation, on doit se rendre compte qu’il n’existe pas de localité sans opportunités. Dans ces localités, l’individu atteint une certaine sérénité de l’âme. Ce n’est pas rien, c’est quelque chose dont certains ont besoin. On ne peut le mesurer que lorsqu’on sort du tourbillon urbain et se rend dans ces localités-là. On se rend compte alors qu’il y a un trésor. Et ce trésor-là, ce sont les ressources paix, tranquillité et sérénité. Et ces dernières deviennent de plus en plus rares dans un monde en tourbillon. Sous ce rapport, il serait bien que la décentralisation soit arrimée autrement, qu’on essaye de montrer les facettes attractives de certaines localités, à travers un marketing territorial.
Source: Le Soleil